Évolution du web: le capitalisme résumé sur 30 ans
Au commencement : un bien commun
Lorsque Sir Tim Berners-Lee a inventé le Web, sur l'infrastructure ouverte qu'était Internet, il n'a pas cherché à en tirer profit. Il y a vu là la création d'un commun qui allait permettre à tout le monde l'accès et le partage à la connaissance.
Et c'est ce qu'il s'est passé lorsque les premiers foyers se sont équipés d'Internet. Wikipedia, la plus grande concrétisation de ce partage de connaissance a vu le jour. Mais c'est aussi l'internet des forums réunissant des passionnés ou des personnes cherchant de l'entraide.
C'est aussi le Web des premier blogs où tous ceux qui le souhaitaient pouvaient partager leurs pensées, leurs loisirs, leurs oeuvres.
Dès le début, le Web était social et les interactions étaient de riches conversations plutôt que des "like".
La monétisation
Tout aussi rapidement que le nouveau média qu'était le Web est apparu, certains y ont vu une opportunité pour faire des profits.
Les pubs sont arrivées sous forme de pop-up. À ce moment là, les grands sites cherchant à monétiser leur contenus ont accepté l'affichage de la publicité, mais ne souhaitant pas être associés à des produits ou des marques qu'elles ne choisissaient pas, la pop-up a été le moyen de rendre acceptable la publicité.
Le Web du partage des connaissances s'est élargi à de la publication de contenus monétisables. Et après tout, pourquoi pas ? Il est normal qu'un journaliste qui travaille sur un article puisse être rémunéré. Les 2 visions du Web pouvaient cohabiter, et surfer sur un forum d'entraide à la plomberie ou consulter un portail d'informations offraient 2 expériences de navigation différentes qui pouvaient coexister.
La publicité sur internet a cependant été très mal amené. Le choix des pop-ups offraient une très mauvaise expérience (surtout quand elles se sont multipliées) et les annonces étaient souvent plus que douteuses.
À l'époque où le Web était ouvert, la technologie dans son ensemble l'était également, et il fut donc possible pour les utilisateurs de masquer la publicité en bloquant les pop-up.Ce format publicitaire fut donc peu à peu abandonner pour se muer en bannières publicitaires dans les zones périphériques des sites internet.
La monopolisation
Pour réussir à faire des bénéfices sur le Web il fallait donc afficher plus de publicités. Deux options:
- faire venir plus d'internautes sur les sites pour augmenter le nombre d'affichage des annonces.
- Afficher plus de bannières sur les sites
Enfin pour les annonceurs, il ne s'agissait plus seulement d'afficher le plus de publicités possibles mais également de pouvoir optimiser leur impact : le taux de conversion.
C'est ici que Google a réussi à s'imposer. Pour les annonceurs, il devenait l'intermédiaire qui allait afficher les publicités sur les sites Web et leur offrir des métriques permettant de mesurer l'impact de leurs campagnes. Pour les éditeurs de sites, il devenait l'intermédiaire pour leur amener des utilisateurs (via google search).
Non seulement Google gérait à la fois l'offre et la demande, mais en plus c'est elle-même qui définissait les critères de succès ! Comment un annonceur pouvait savoir si sa campagne publicitaire lui avait attiré des clients si ce n'est en croyant les chiffres fournis par Google ?
Si la libre concurrence est toujours mise en avant pour valoriser le capitalisme, le fait est qu'il mène toujours à la création de monopole. Et quand ce monopole s'applique sur toute la chaîne de valeur, alors il n'y a plus de limites.
L'asservissement
Au delà de la transformation de la publicité en ligne, c'est également la démocratisation de la publication sur le Web qui a évolué. Plus besoin de savoir héberger un site web pour s'exprimer quand Facebook ou Twitter nous offrent une plateforme de communication.
Ce faisant, les sites et communautés autonomes se sont regroupées vers ces quelques acteurs, leur cédant ainsi tous les pouvoirs. Et c'est alors là qu'apparaît une fois de plus les dérives, ou l'essence même du capitalisme : Nous forcer à consommer leur publicités en contrôlant les publications qu'ils nous affichent, ou mettant en place des dark pattern pour retenir notre attention sur leurs sites, etc...
Extractivisme et exploitation
Et finalement, on en est arrivé au capitalisme de surveillance, c'est-à-dire extraire des données à partir du comportement des utilisateurs. Les réseaux sociaux commerciaux sont devenus des cercles vicieux où les utilisateurs sont à la fois consommateurs et producteurs de valeurs. C'est comme avoir une perfusion qui nous prélève notre sang dans le bras gauche pour le réinjecter dans le bras droit, en supprimant nos globules blancs à savoir notre esprit critique et notre capacité à discerner le vrai du faux..
Mais le capitalisme ne se contente pas d'exploiter ses utilisateurs. Il exploite aussi les populations les plus défavorisées en leur confiant les tâches de modération de contenus. Non, l'IA ne s'est pas développé toute seule en pillant tout ce qui était disponible elle s'est aussi nourri du travail sous rémunéré pour labelliser les contenus haineux, violents, sexuels, etc.
Le modèle du capitalisme repose sur la captation des ressources et sur l'exploitation des travailleurs. Son application au Web a permis de soumettre la planète entière à la volonté de quelques investisseurs de la Silicon Valley.
Conclusion
Cory Doctorow a inventé le terme d'enshittification , traduit par merdification en français pour décrire comment tous les grands sites Web fonctionnent :
- D'abord on offre un service bon et gratuit aux utilisateurs
- Puis on dégrade le service gratuit pour satisfaire les "partenaires commerciaux"
- Puis on dégrade l'expérience des 2 côtés de la chaîne pour ne plus profiter qu'aux actionnaires.
La théorie de Doctorow n'est finalement que le constat du fonctionnement du capitalisme, appliqué au modèle du Web et dont nous avons pu observer son efficacité sur quelques décennies seulement.
La Technologie n'est qu'un rideau, un mouchoir que l'on met pour masquer les effets du capitalisme. On dissimule l'exploitation du travail derrière des applications mobiles et de beaux sites internet mais les murs Facebook restent supportables parce que des humains filtrent les contenus et les repas Deliveroo arrivent chez vous parce que d'autres sont exploités pour faire des livraison à vélo.
Si une ressource existe, il y aura toujours quelqu'un pour se mettre à la source pour en tirer profit. Néanmoins, contrairement au charbon, au pétrole ou à l'eau, le Web n'est pas une ressource finie. Beaucoup l'ont oublié (ou l'ignorent pour les plus jeunes) mais tout le monde peut toujours créer un site Web en 2025. Il n'y a aucune raison d'entretenir notre syndrome de Stockholm vis-à-vis de la Silicon Valley. Les standards du Web ont continué d'évoluer pour permettre de communiquer de façon aussi moderne que chez Meta tout en gardant notre autonomie. Alors, qu'est-ce qu'on attend pour mettre fin au capitalisme sur Internet ?